L’image en éducation et formation

• par Hélène Vanderstichel et Raquel Becerril-Ortega • 04/10/2022

Le 08 novembre prochain aura lieu une nouvelle édition du Challenge Xperium autour du thème « Kaléidoscope ! L'image dans toutes les sciences ». À cette occasion, nous lancerons à deux équipes le défi d’imaginer, concevoir, construire des solutions originales et innovantes pour les sciences de l’éducation et de la formation.

En explorant le potentiel des outils numériques pour l’apprentissage par immersion, nous avons en effet mené au sein du pôle IMEXA une réflexion sur les images qui nous servent à apprendre. Comment sont-elles conçues ? Quels sont les enjeux et impacts dont nous devons tenir compte en tant que concepteurs et conceptrices ? L’occasion de soulever quelques questions vives, à la fois écologiques et sociétales.

Apprendre par et avec l'image

La conception et l’utilisation d’images est un enjeu majeur pour les professionnels de la recherche, de l’enseignement et de la formation. Loin d’être considérées comme des supports illustratifs anecdotiques, elles « rendent visibles ce qui compte dans la manière d’habiter un monde » (Descola, 2022) et aident à la structuration des connaissances. C’est pourquoi, « des images pédagogiques aux usages pédagogiques de l'image » (Ferran et al., 2017), « l'image est devenue un objet d'étude en soi » (Bertoux, 1992).

Au cours de la conception d'une image, nous pouvons rendre visible ce qui échappe normalement à notre perception : l’infiniment grand ou petit, l’invisible, le passé, l’ailleurs… Les images peuvent ainsi nous aider à comprendre (les relations entre des données complexes, le fonctionnement d’un mécanisme ou d’un organe…) et à agir (diagnostiquer, anticiper, imaginer, expérimenter…). Elles nous aident à élaborer ce qu'on appelle des représentations fonctionnelles (Rogalsky, 2013), comme nous avons par exemple mis en évidence avec les modèles didactiques d’anatomie (Vanderstichel & Becerril-Ortega, 2021).

Mais les images peuvent aussi parfois se substituer à notre imagination, créer des traumatismes, des incompréhensions, des confusions. L’histoire de la récente « découverte » du clitoris (Cencin, 2018) en est un exemple. En 2016, selon le rapport relatif à l’éducation à la sexualité remis par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, une fille de 15 ans sur quatre ne savait pas qu'elle avait un clitoris. Un prof de SVT explique l’avoir lui-même découvert « vraiment » dans le manuel scolaire édité par Magnard en 2017 (Valdayron, 2017)…

La conception des images à but pédagogique

Qu’elles soient acquises (réalisées à partir de photos, de vidéos, à 360°…), figurées (dessinées, modélisées en 2D ou 3D, avec ou sans IA…) ou les deux à fois (motion capture, photomontage…), les images en éducation et formation sont conçues ou sélectionnées dans un but pédagogique, non pour reproduire fidèlement le réel mais pour nous aider à le comprendre, à apprendre, à agir. Elles portent ce qu’on appelle une intention didactique. Que ce soit pour créer un environnement immersif en réalité virtuelle, une capsule vidéo, un support numérique ou imprimé, les conceptrices et concepteurs sont ainsi amenés à interroger la « puissance pédagogique » (Becerril-Ortega, 2021) de leur création.

Dans le cadre d’un projet mené en collaboration avec Rafael Patarroyo, artiste plasticien et ingénieur pédagogique multimodal, nous avons par exemple interrogé la place de l’image dans la conception d’une simulation numérique en réalité virtuelle pour des professionnels de santé : « pour créer des personnages, des décors, des situations didactiques, chaque détail a son importance ». Cette simulation portait sur la communication patient.e/soignant.e, une compétence dans laquelle l’observation joue un rôle majeur. Et parfois, un détail peut tout changer : un effet d’aquarelle sur un tissu (vêtement, drap, etc.) peut être interprété comme une salissure par un soignant et influencer son diagnostic de la situation, ou inversement. Entre art et didactique, nous avons dû choisir. Car si les images « peuvent être belles », « elles doivent être justes » (Roques, 1992).

Cependant, le travail du concepteur n’est pas seulement en question ici. Un décryptage du contexte (historique et culturel) et du processus de création d’une image, ainsi que de l'intention didactique, est parfois nécessaire pour réussir à l’interpréter. Savez-vous par exemple comment et dans quel but sont conçues les images scientifiques comme les IRM fonctionnelles, les graphiques de description économique ou les cartes climatiques… ? Cela peut influencer l’acquisition des savoirs scientifiques et cette préoccupation « touche aussi à la question de l’acquisition d’un des fondements de l’esprit scientifique et du comportement citoyen : l’esprit critique » (Dahmani et al., 2015).

Vers une conception éco-responsable des images ?

Par ailleurs, la fabrication et la diffusion des images peuvent avoir un coût économique et écologique important. C’est le cas notamment des colorants qui peuvent utilisés en teinture et en imprimerie. Saviez-vous par exemple que les costumes verts du 17e siècle étaient bannis des scènes de théâtre pour leur toxicité, ou que le bleu guède avait fait au 18e siècle la fortune de la Picardie (Pastoureau & Simonnet, 2005) ? Le développement exponentiel de l’image numérique doit lui aussi nous interroger.

La réalité virtuelle notamment devient accessible et contribue à améliorer l’enseignement et la formation (Vanderstichel, 2022 ; Bessalah, 2022), mais elle peut aussi avoir un impact sur la santé (Anses, 2021) et demande des moyens importants (énergie, métaux rares, etc.). Cette année en France, selon l’ADEME (2022), le numérique a nécessité 65 millions de tonnes de ressources pour produire et utiliser les équipements, 20 millions de tonnes de déchets, 2,5% de l’empreinte carbone, 10 % de la consommation électrique… En 2018, le rapport de Shift project alertait déjà sur « l’augmentation du trafic vidéo couplée à la part croissante des images de qualité HD et UHD et au déport des usages vers de la consommation à la demande (streaming, VOD, cloud gaming) ». On parlait alors encore peu du Métavers, dernier né du mariage d’internet et de la réalité virtuelle…

De nombreuses voix s’élèvent pour nous alerter sur notre consommation irraisonnée d’images et plus largement de ressources numériques. Les « éco-TIC » (serveurs scalables, reconditionnement de matériel, algorithmes d’optimisation des images, etc.) nous permettront sans doute de limiter l’impact sur notre environnement. Les outils numériques peuvent aussi être utiles pour sensibiliser et former à ces questions. Mais nos usages doivent aussi évoluer pour neutraliser l’effet rebond et aller vers une « innovation responsable » (Aggeri, 2020 ; Cailloce, 2018 ; Orgerie, 2015).

L’innovation en éducation et formation peut accompagner les transitions écologiques et sociétales, sans concession sur la qualité de l’apprentissage et inspirée même par l’innovation frugale (Becerril-Ortega, 2022) ! Sommes-nous prêt.es à relever le défi ? Pour le savoir, rendez-vous le 08 novembre prochain à l'Xperium...

Références bibliographiques :